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Sous le regard de l’artiste-peintre : comment la pause devient-elle communion ?

Par Luc-Régis Gilbert

Rencontrer un peintre à travers son regard, si l’on est invité à poser devant lui, laisse pour toujours une impression bien particulière. Mise à disponibilité du modèle en faveur de l’artiste, complicité, participation à l’œuvre en cour de création, inspirent une relation au sacré.

Crayon sur papier, 1949*

J’ai eu le privilège de cette expérience à 12 ans, et m’en souviens, quand Théodore Strawinsky fit mon portrait en 1949.

Attention de l’esprit, tension d’un état d’âme, font naître un silence. Seuls viennent l’interrompre le rythme de la touche du pinceau sur la toile, le souffle d’une respiration de vie et d’émotion. Je les entends encore. Quelques paroles de détente, de réconfort en la patience, résonnent parfois dans l’espace organisé de l’atelier, son odeur d’huile de térébenthine, ses taches par terre, son ambiance hors du temps. Depuis sa source – fenêtre ou lampe – jusqu’au sujet, filtre la lumière subtile qui donne force, et qui fera paraître l’essentiel, accusant ou dissipant certains traits du caractère.

Il n’appartient pas au modèle de suivre l’évolution de l’œuvre, ce serait contre pudeur. La toile forme écran entre le monde et le peintre, lui lissant sa liberté de va-et-vient entre la synthèse et le détail, dans l’effort immense à requérir la vérité si difficile à cerner, inéluctable condition de la beauté : eh ! Qui, de sa foi moderne, ose encore la vénérer ? …

Huile sur papier, 1949*

Mais, sur le visage du peintre transparaît une joie inquiète : il se fait le miroir de l’œuvre, et davantage encore du travail investi. Observer le moindre détail du cil, la courbure, l’accroche, la nuance colorée ou le contraste, la valeur d’ombre ou d’éclat, la transparence… Contrôler aussi sans cesse l’ensemble, pour équilibre, ou déséquilibre dynamique, volonté de la composition dans les dimensions choisies de la toile.

Au terme de la pose – généralement plusieurs – la relation entre peintre et modèle reprend son cours naturel. Une amitié demeure cependant, sous-entendue de communion. Quant à l’œuvre, quel est le moment de son achèvement ? Le peintre en décide d’autorité, mais sans certitude, semble-t-il. Il l’accompagne comme un père suite les premiers pas de l’enfant. Puis elle se met à vivre d’elle-même. La ressemblance n’est pas le but. Bien plus est la transposition, qui, à travers l’histoire de l’art, transmettra le message conjoint, porteur de ce qu’un homme inspiré peut rendre à l’humanité.

Plus tard, Théodore me montra comment tenir le crayon, le pinceau, la palette, avec cette fierté et modestie de partager l’outil, mais sans aucune recommandation autre que celle d’aimer s’en servir, dans le respect des règles de l’art. Regarder, construire, répliquer, corriger, relancer le geste, reprendre la touche sans empâter, boucher, ni salir… Ce que de sa présence il suggérait à percevoir, il fallait l’assumer personnellement, le faire mûrir et aboutir, au-delà de soi, de son habitude à satisfaction. Etrangement, le cœur battait, autant par la passion que par la sérénité, à voir paraître l’enfant ! Quel pouvoir, quel mystère ! …

Plus tard encore, en soirée, après nous être, à dîner avec Denise si affectueuse, rappelés de bonnes histoires, ou de beaux voyages et séjours en Provence ou en Italie, Théodore m’invitait « à monter » dans son atelier.

L'artiste, années 1970*

Déposant l’œuvre en cours, il faisait passer sur son chevalet ses derniers portraits, paysages, natures mortes; huiles, pastels ou maquettes… Là je ressentais cette tendresse qui était la sienne, cette même inquiétude que j’avais connue face à lui pendant mon portrait, cette invitation de confiance à prendre part à son travail. Je n’osais pas rompre le silence de l’interrogation. Je tentais seulement de trouver le moyen d’expression qui puisse nous rapprocher : il s’intéressait beaucoup à mon travail et mon enseignement de l’architecture à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris. Je le quittais, rempli de joie et d’énergie renouvelées.

Enfin, quand il me montra son dernier dessin en couleur, alors qu’il ne voyait plus, je pense qu’il saisit ma douloureuse émotion. Je crois lui avoir dit : « vous continuez toujours… : quelle leçon de persévérance et d’amour vous savez donner »…  » Je veux te voir. Viens vite ! » m’ordonna-t-il par téléphone, trois jours avant que son regard ne s’éteigne.

Depuis, la vie de l’œuvre fait notre rencontre.

*Copyright Fondation Théodore Strawinsky, tous droits réservés

Note : texte rédigé en vue d’une publication dans la revue Univers des Arts, pour l’exposition Théodore Strawinsky 2003 à Paris. Non paru.

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