Écrit par :

Certaines personnes me demandent parfois comment il se fait que j’aie deux grands-pères du côté de ma mère. C’est en réalité une histoire assez compliquée. Mes arrière-grands-parents, Igor et Catherine Stravinsky, ont eu 4 enfants : Théodore, Ludmila, Sviatoslav (Soulima) et Milène.

 Ludmila s’est mariée avec le poète russe juif Youri Mandelstamm et ils ont eu une fille, Catherine, ma mère. Tous deux sont décédés tragiquement prématurément (Youri mort en déportation à Auschwitz et Ludmila de tuberculose). 

 Igor Stravinsky a demandé à son fils Théodore d’adopter sa nièce. Ainsi, je n’ai pas connu mon grand-père Youri et Théodore est le grand-père que j’appelais « grand-papa » et avec qui j’ai partagé de merveilleux moments.

Youri et Ludmila Mandelstamm-Strawinsky avec leur fille Catherine, Paris 1937*

Cela fait presque 30 ans que j’ai entendu sa voix profonde et chaleureuse pour la dernière fois, mais elle reste inoubliable. Il aimait raconter des histoires et avait un grand sens de l’humour. Il était extrêmement modeste, ne parlait pas beaucoup de son art et n’aimait pas être au centre de l’attention. Pour je ne sais quelle raison, son œuvre n’était jamais au centre de nos discussions. Je me souviens qu’il m’a une fois solennellement invitée à entrer dans son atelier. Quel privilège ! Cet endroit était incroyable et débordait de sa personnalité. C’était bien sûr la plus grande pièce de sa maison, avec de hauts plafonds, des murs blancs et baignée de lumière. Mon grand regret est qu’à l’époque, je n’avais pas d’appareil photo pour capturer cette image. D’un côté, il y avait ses chevalets, ses peintures, des boîtes, des étagères remplies d’objets mystérieux. 

De l’autre côté, entourée de deux fenêtres, il y avait une grande table avec un magnifique miroir. Sur le mur étaient affichées des citations, des cartes postales, des croquis, des passages de la Bible écrits à la main.

L'artiste, années 1980*

De l’autre côté se trouvait un vieux canapé recouvert d’une couverture rouge. Enfant, je me suis assise dessus et mon grand-père m’a proposé d’observer les dizaines de tableaux qui étaient exposés devant moi, ce que j’ai fait. Puis, il m’a demandé lequel je préférais. Je n’ai pas pu répondre, alors j’ai dit « tous ». Je suppose que ma réponse sincère l’avait satisfait, car il a souri et est immédiatement sorti de la pièce pour faire part au reste de la famille ce que j’avais dit.

L'artiste et Marie-Gabrielle de Savoie, 1956*

Il ne m’a jamais appris, ni à personne d’autre d’ailleurs, comment dessiner. Il a peut-être eu un ou deux élèves dans sa vie, mais il n’aimait pas cette activité. Récemment, j’ai rencontré son Altesse Royale, Marie-Gabrielle de Savoie, la fille de la Reine Marie-José, qui était une amie intime de mon grand-père. Elle m’a dit qu’elle avait eu la chance de recevoir des leçons de peinture de Théodore. J’imagine qu’il n’a pas pu refuser à la reine avec qui il avait tant en commun, d’enseigner le dessin à sa fille.

Une autre occasion qui m’a été donnée d’entrer dans l’atelier de mon grand-père remonte à mes huit ou neuf ans. Nous déjeunions dans la salle à manger lorsqu’ il m’a dit qu’il avait une surprise pour moi. J’étais assez excitée, partagée entre le désir de recevoir un nouveau pull ou des poissons rouges. Finalement, à la fin de notre déjeuner, il a déclaré qu’il était temps que je pose pour lui.

Huile sur toile, 1976*

Je dois admettre que j’ai d’abord été un peu déçue à l’idée de poser pendant des heures sans bouger. Nous avons ensuite bien sûr passé des heures de complicité tous les deux, des moments précieux qui resteront à jamais gravés dans mon cœur.

Dans le studio de mon grand-père, une pièce mystérieuse inondée de lumière, il y avait des toiles frottées, de magnifiques pastels et toutes sortes de maquettes. Nous étions très rarement autorisés à pénétrer dans cet endroit de création artistique. Le peintre n’admettait personne lorsqu’il travaillait, mais quelle joie quand la porte s’ouvrait et que nous pouvions découvrir sa dernière œuvre en déambulant entre les chevalets et les boîtes de peinture.

Le fils aîné du célèbre compositeur Igor Stravinsky et de Catherine Nossenko, Théodore, est né en 1907 à Saint-Pétersbourg. Théodore a été nommé d’après son grand-père paternel, un célèbre chanteur d’opéra et acteur qui avait connu une carrière réussie au théâtre Mariinsky.

Académie André Lhote, vers 1930. Copyright Archives André Lhote**

Il a passé sa petite enfance en Russie, puis les circonstances ont obligé la famille à passer la Première Guerre mondiale en exil. La famille s’est installée en Suisse en 1913, puis en France en 1920. Théodore a passé les années folles à Paris avec ses parents en rendant visite à Picasso, Braque, Derain, Cocteau. Grandir dans cet environnement artistique a eu une grande influence sur sa personnalité et son développement dès son plus jeune âge. Théodore a toujours voulu être peintre, et son père, qui était très amateur d’arts plastiques, était ravi de cette vocation. À 13 ans, Théodore a dit à son père : « Je veux être peintre ». Igor a répondu : « Excellente idée, pourvu que ce soit une bonne idée ». En 1930, Théodore s’est alors inscrit à l’Académie André Lhote à Paris.

À partir de là, il a suivi deux voies parallèles, la peinture de chevalet (portraits, paysages, natures mortes) et les peintures murales. Les vitraux, fresques et mosaïques d’inspiration religieuse ont trouvé place dans des églises de Suisse, de France, d’Italie, de Hollande et de Belgique.

Mon grand-père était un homme charmant, cultivé, raffiné, et sa peinture reflète son image, douce et lumineuse. Inspiré par sa foi rayonnante, l’art sacré a joué un rôle important dans sa vie. Il a été décoré par le pape Paul VI en 1977 et a été investi comme « Chevalier Commandeur de l’Ordre de Saint-Grégoire le Grand » pour les services rendus à l’Église par son art.

Bien que fils d’un génie, Théodore n’a jamais été écrasé par la forte personnalité de son père. Il était complètement libre et savait assumer cette indépendance tout au long de sa vie à travers son travail.

 

Théodore le peintre et Igor le compositeur, Genève 1952*

Il est décédé à Genève en 1989 et est enterré au cimetière russe de Paris (Sainte Geneviève des Bois) aux côtés de sa mère, de sa sœur et de sa grand-mère paternelle.

* Copyright Fondation Théodore Strawinsky, tous droits réservés

** Avec l’aimable autorisation de Madame Dominique Bermann Martin

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Ut elit tellus, luctus nec ullamcorper mattis, pulvinar dapibus leo.

Articles similaires

error: Content is protected !!