L’acte de foi de Théodore Strawinsky
Écrit par : Sylvie Visinand
“Pourquoi Théodore Strawinsky est-il devenu catholique ?” Un échange épistolaire entre fils et père, précieusement conservé dans les archives de la Fondation, nous permet aujourd’hui de disposer de la meilleure des sources pour répondre à la question et comprendre les motivations de l’artiste.
Né le 24 mars 1907 à Saint-Pétersbourg, Théodore Strawinsky y reçoit le baptême orthodoxe le 16 avril 1908. En 1924 la famille s’établit à Nice et se rattache à l’Église orthodoxe russe hors frontières. Le peintre réalise quelques années plus tard en 1928-29 sa première œuvre religieuse pour leur lieu de culte, une iconostase dans la tradition des icônes de l’École de Novgorod.
Chrétien croyant et désireux de vivre sa religion, il ne trouve pourtant pas dans l’Église orthodoxe, dont ses parents ont reçu les sacrements en 1926[1] les conditions propices à une pratique régulière, libre et spontanée[2]. La rencontre avec sa future épouse Denise Guerzoni en 1935 à Meudon, chez Jacques et Raïssa Maritain (amis intimes du cardinal Charles Journet), va lui permettre de trouver sa voie. La jeune femme, née dans une famille de libres penseurs[3], vient de faire son entrée dans l’église catholique après une retraite aux Allinges (Haute-Savoie, France) dirigée par le cardinal. Théodore écrit à son père que “la lecture de livres catholiques, orthodoxes, historiques et dogmatiques lui montrent les divergences entre les deux Eglises et la voie à suivre “avec une telle clarté que je me suis senti obligé d’y sacrifier tous mes scrupules”[4].
Les drames familiaux vécus par le peintre (les décès de sa sœur Ludmilla en 1938, puis de sa mère Catherine en 1939) trouvent un écho personnel chez Charles Journet qui a traversé les mêmes épreuves et lui permettent de trouver les mots qui apaisent et réconfortent. Il accompagne l’artiste dans sa quête spirituelle, le soutient dans sa conversion au catholicisme le 15 mars 1940 et devient dès lors pour le couple un guide spirituel et un ami vénéré.
Théodore met longtemps à annoncer son acte de foi à son père, non par peur mais tout simplement car il veut le lui dire de vive voix et espère pouvoir le faire sitôt la guerre terminée. Mais les mois passent sans que cela puisse se faire et il finit par lui écrire en 1946, refusant d’attendre plus longuement. Il fait bien car leurs retrouvailles auront finalement lieu en… 1951 soit douze ans après le départ d’Europe du compositeur en 1939. La réponse du père est positive, soulignant que “d’âme, de coeur et d’esprit j’approuve et justifie ton acte” et que “en tant que chrétien croyant et recherchant la pratique, ton passage au catholicisme, j’en étais persuadé, était tôt ou tard inévitable”[5].
Sur le plan artistique, cette conversion au catholicisme renforce la foi du peintre et lui permet de répondre à cette question souvent posée : est-il nécessaire d’être croyant pour peindre des sujets religieux ? Pour peindre… non, mais il faut avoir la foi pour créer une oeuvre réellement religieuse.
[1] WALSH, Stephen, 1999. Stravinsky : A creative spring : Russia and France, 1882-1934. London : Jonathan Cape
[2] Lettre d’Igor Strawinsky à son fils Théodore, 10 mai 1946, note 1 (Fondation Paul Sacher, archives Igor Strawinsky, box 38/I).
[3] Curriculum vitae “religieux” de Théodore et Denise Strawinsky, 1977 (archives de la Fondation Théodore Strawinsky, TDTR-0001-0001-0002)
[4] Lettre de Théodore Strawinsky à son père, [avril] 1946 (archives de la Fondation Théodore Strawinsky, TDCR-0003-0003)
[5] Voir note 2
Sources :
Curriculum-vitae « religieux » de Théodore et Denise Strawinsky, 1977 (archives de la Fondation, TDTR-0001-0001-0002)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Journet
Correspondance Denise et Théodore Strawinsky/Charles Journet, 1934-1975 (archives de la Fondation, TDCR-0004)